« Au
secours, ils sont en train de me tuer »
« Je
souhaite conserver mon exploitation et la transmettre afin de
perpétuer mon histoire, mon patrimoine, mes valeurs, ma vie.
Ce
monde arrivera à faire mourir de faim ceux qui le nourrissent ! »
Extrait
de la lettre de Christophe Girard du 10 mars 2012
"Le
pouvoir est aveugle, les détresses les plus accablantes sont
muettes... Comment faire se rejoindre ceux qui savent et ceux qui
peuvent?"
Abbé Pierre
« Les
détresses les plus accablantes sont muettes …... »
Christophe Girard a voulu faire mentir cette belle citation,
(pourtant ô combien vraie) de l'Abbé Pierre.
C'est
un cri, un hurlement qu'il pousse pour évoquer sa détresse et celle
de nombreux petits agriculteurs. Si trop souvent les grandes douleurs
sont muettes, les colères sont une source de solidarité.
« Il
n'existe pas d'autre voie vers la solidarité humaine que la
recherche et le respect de la dignité individuelle »
(Pierre Lecomte du Noüy – L'Homme et sa destinée »)
Le
respect de sa dignité.... c'est bien le combat que mène Christophe
Girard comme tant d'autres dans la même situation. Respecter la
dignité d'un paysan c'est lui permettre de rester un paysan DEBOUT,
fier de son travail. Son courage est le prix de sa dignité … mais
ce prix là, aucune banque, aucune coopérative n'est capable de
l'estimer tant elles sont dans une seule logique de rentabilité, à
mille lieues de toute humanité. Car cette humanité n'est pas une
chose que l'on subit c'est au contraire une dignité à conquérir....
mais faut seulement le vouloir, en avoir envie !
Tout
travail même s'il ne sort pas l'homme de la misère, devrait lui
garantir sa dignité !
Presque
2 agriculteurs se suicident par jour … et cela n'émeut plus grand
monde. On leur a pris leur dignité qu'ils avaient conquis de haute
lutte par leur travail quotidien. Mais dans quel monde vit-on pour en
arriver là ?
Un
monde où la grand misère humaine (et il n'y a pas que dans
l'agriculture) est devenue banalisée.
Un
monde où le pouvoir de l'argent détruit l'homme au lieu de l'aider
à construire, à se construire.
Un
monde déséquilibré où les rapaces se nourrissent grassement sur
le dos des plus démunis .
Un
monde où il faut hurler pour dire sa souffrance, sa misère alors
que la moindre humanité devrait s'en apercevoir d'un simple regard.
Un
monde d'homme avec de moins en moins d'humanité ! Ce serait
comme le monde des banques avec de moins en moins d'argent. Dans quel
paradoxe vit-on ?
Pour
se faire entendre dans un monde où la communication est
techniquement au top, on ne s'entend plus, on ne s'écoute plus :
on se tweet, se « face book », se « mail » se
« textote » mais on ne se rencontre plus !
C'est
pour cela qu'il faut hurler pour crier certaines misères qui sont à
nos portes, devant nos yeux !
Alors
crions : faut-il créer un CRI « Comité
de Révolte
des Indignés »
pour se faire entendre ?
« On
communique profondément avec quelqu’un par ses blessures. C’est
par les failles que passent l’accord et la connivence avec l’autre.
»
Père Albert Rouet
Quand
prendrons-nous le temps, plutôt que de le subir, pour rencontrer
l'autre, essayer de le comprendre plus que de l’étiqueter (ce qui
est bien plus facile). Quel regard portons-nous sur l'autre ?
«
Désespérer de quelqu’un, c’est le désespérer. »
Emmanuel Mounier
Ce
n'est pas un cri à connotation politique... ou plutôt si mais dans
le sens ou la politique concerne
la structure et le fonctionnement d'une communauté, d'une société.
Car la politique a trait au bien commun, à une somme
d'individualités dans un collectif, dans un communauté. Et une
communauté est une interaction d'organismes partageant un
environnement commun.
« du
latin "communis", communauté, lui-même issu de "cum",
avec, ensemble et de "munus",
charge, dette : charges partagées, obligations mutuelles. »
« Au
sens général, une communauté désigne un groupe social constitué
de personnes
partageant les mêmes caractéristiques,
le même mode de vie, la même
culture, la
même langue, les mêmes intérêts.... Elles interagissent entre
elles et ont en outre un sentiment
commun d'appartenance
à ce groupe. »
extrait du site http://www.toupie.org/Dictionnaire/Communaute.htm)
A-t-on aujourd'hui la sensation
d’appartenir à la même communauté ? Où sont les mots
« ensemble », « partage », « obligations
mutuelles » ?
Personnellement j'ai de plus en
plus l'impression de vivre dans un monde ou se côtoient diverses
communautés en recherche de pouvoir sur l'autre, diverses communauté
qui se côtoient sans se rencontrer. Tout pouvoir n'a de sens que si
on le met au service des autres et non à satisfaire des ambitions
ou besoins personnels.
Mais
revenons au cri de Christophe Girard qui , de sa propre volonté,
parce qu'il n'en peut plus moralement, physiquement, financièrement
a fait cette démarche.
Elle a été entendue et
comprise par certains, entendue... et c'est tout par d'autres et pas
entendue du tout par ceux que la souffrance des autres dérange dans
leur petit confort quotidien.
«
La paysan et ses rides, la terre et ses sillons ont une seule et même
signification »
( Alex Le Gall)
Quand
on a la chance, comme moi de vivre à la campagne , on peut admirer
la beauté d'une terre juste labourée : «
Personne ne peut voir au soleil la fumée d'un sillon labouré sans
avoir la chaude fièvre d'en être le seigneur. »
Georges Sand « François le Champi »
Christophe
a toujours été fier de son métier de paysan, fier de labourer sa
terre et de la faire produire de façon raisonnée mais aujourd'hui,
s'il lui est de plus en plus difficile de tracer son sillon dans sa
propre terre, les sillons qui se creusent sur son visage montrent
toute la souffrance d'un homme qui pourtant veut
« perpétuer son histoire, son patrimoine, ses valeurs, sa
vie ».
Il
aurait pu dire, comme Khalil Gibran, dans « Le Prophère » :
« La terre est ma patrie,l'humanité, ma famille. »
«
Le paysan meurt de faim et son maître de gourmandise » dit
un proverbe polonais : les « maîtres » se
reconnaîtront !
Alors
oui, j'ai envie de hurler avec lui, comme d'autres commencent à le
faire, pour rompre ce silence qui veut cacher, taire, ce silence qui
tue parce qu'il nie les réalités.
Ouvrons
les yeux, indignons-nous pacifiquement pour résister comme
nous y invitait Stéphane Hessel, pour que les réalités soient
prises en compte.
« Toutes
les idéologies politiques qui ont voulu modifier le monde paysan ont
échoué parce que le monde agricole ne peut être géré par des
théories,il est régi par la réalité . »
Olivier de Kersauson
Crions
donc pour que ces réalités du monde paysan, et plus
particulièrement celles de Christophe Girard et des petit paysans
soient prises en compte.
«
C'est à force de répandre le bon grain qu'une semence finit par
tomber dans un sillon fertile »
écrivait Jules Verne dans « les naufragés du Jonathan. »
Aujourd'hui
ces naufragés essaient de se sauver et de sauver la terre qui nous
nourrit. Alors plus nous serons de bons grains, plus l'espérance
renaîtra.
Jacky
Prêt
Le
16 juin 2012